
Condamnation pénale des militaires à une peine d’inéligibilité : la radiation pour perte de grade est susceptible de recours !
-Lorsqu’un militaire ou un gendarme fait l’objet d’une sanction pénale de perte de ses droits civiques (inéligibilité notamment), il s’expose à une radiation des cadres d’office pour perte de grade.
Cependant, dans l’hypothèse où cette sanction aurait fait l’objet d’une décision de non-inscription au bulletin numéro 2 du casier judiciaire (B2), la perte de grade et la radiation qui en découlent sont largement contestables.
Le cabinet d’avocat militaire, Obsalis Avocat, éclaire les militaires et les gendarmes sur leurs droits au recours en matière de radiation fondée sur une sanction pénale :
1.- Peine d’inéligibilité, perte de grade et radiation des militaires et gendarmes
Par principe, la condamnation d’un militaire ou d’un gendarme à une peine d’inéligibilité ou de perte de ses droits civiques doit entrainer la perte de grade et sa radiation.
En effet, aux termes de l’article L. 4132-1 du code de la défense :
« Nul ne peut être militaire :
1° S'il ne possède la nationalité française, sous réserve des dispositions de l'article L. 4132-7 ;
2° S'il est privé de ses droits civiques ;
(…) ».
L’article L. 311-7 du code de justice militaire précise :
« Toute condamnation à une peine d'interdiction des droits civiques ou d'interdiction d'exercer une fonction publique, prononcée par quelque juridiction que ce soit contre tout militaire, entraîne perte du grade. (…)
L’article L. 4139-14 du code de la défense prévoit également :
« La cessation de l'état militaire intervient d'office dans les cas suivants : / (…)
2° A la perte du grade, dans les conditions prévues par le code de justice militaire ou à la suite de la perte de la nationalité française ; (…) ».
Par ailleurs, l’article 131-26 du code pénal prévoit la perte du droit d’éligibilité et du droit de vote au nombre des interdictions de droits civiques qui peuvent être prononcées à titre de sanction pénale :
« L'interdiction des droits civiques, civils et de famille porte sur :
1° Le droit de vote ;
2° L'éligibilité ; (…) ».
Il résulte de la combinaison de ces articles qu’un militaire ou un gendarme qui serait condamné, au titre de peine complémentaire, à une peine d’inéligibilité ou de perte du droit de vote subit en principe et d’office, une perte de grade, devant conduire à sa radiation des cadres ou des contrôles.
Dans une telle hypothèse, l’autorité militaire se trouve en situation de compétence liée et n’a pas d’autre choix que de prononcer la radiation d’office.
Cependant, il arrive parfois que le juge pénal prenne expressément une décision de non-inscription au B2, c’est-à-dire, décide de dispenser la condamnation de son inscription au bulletin n°2 du casier judiciaire du militaire concerné.
Dans ce cas, la perte de grade qui en découle est caduque, tout comme l’éventuelle radiation prononcée contre le militaire concerné.
2.- Dispense d’inscription au B2 et relèvement de la perte de grade
L’article 775-1 du code de procédure pénale prévoit expressément que la dispense d’inscription au bulletin n°2 du casier judiciaire fait tomber toutes les interdictions, déchéances ou incapacités de quelque nature qu’elles soient résultant de la condamnation prononcée :
« Le tribunal qui prononce une condamnation peut exclure expressément sa mention au bulletin n° 2 soit dans le jugement de condamnation, soit par jugement rendu postérieurement sur la requête du condamné instruite et jugée selon les règles de compétence et procédure fixées par les articles 702-1 et 703. Les juridictions compétentes sont alors composées conformément aux dispositions du dernier alinéa de l'article 702-1.
L’exclusion de la mention d’une condamnation au bulletin n° 2 emporte relèvement de toutes les interdictions, déchéances ou incapacités de quelque nature qu’elles soient résultant de cette condamnation ».
En d’autres termes, une éventuelle condamnation au titre de la perte du droit d’éligibilité ou du droit de vote ne peut pas donner lieu à perte de grade ni, par conséquent, au prononcé de la cessation de l’état de militaire, si elle est dispensée d’inscription au bulletin n°2 du casier judiciaire.
S’agissant spécifiquement des militaires, la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de juger que la dispense d’inscription au casier judiciaire d’une condamnation d’un militaire entraînait relèvement de la perte de grade :
« ATTENDU QU'APRES AVOIR DECLARE LE LIEUTENANT X... COUPABLE, NOTAMMENT, DU DELIT DE VOL ET AVOIR PRONONCE CONTRE LUI LA PEINE DE CINQ MOIS D'EMPRISONNEMENT AVEC SURSIS, EN DECIDANT QUE CETTE CONDAMNATION SERAIT EXCLUE DU BULLETIN N° 2 DU CASIER JUDICIAIRE, LE TRIBUNAL MILITAIRE AUX ARMEES A DIT QUE CETTE EXCLUSION EMPORTAIT RELEVEMENT DE LA PERTE DU GRADE PREVUE PAR LES ARTICLES 369 ET 370 DU CODE DE JUSTICE MILITAIRE ;
ATTENDU QU'EN STATUANT AINSI, LE JUGEMENT ATTAQUE N'A EN RIEN VIOLE LES TEXTES VISES AU MOYEN ; QU'EN EFFET, SELON L'ARTICLE 775-I DU CODE DE PROCEDURE PENALE, DONT LES DISPOSITIONS SONT, AUX TERMES DE L'ARTICLE 358 DU CODE DE JUSTICE MILITAIRE, APPLICABLES AUX CONDAMNATIONS PRONONCEES PAR LES JURIDICTIONS DES FORCES ARMEES, L'EXCLUSION DE LA MENTION D'UNE CONDAMNATION AU BULLETIN N° 2 EMPORTE RELEVEMENT DE TOUTES LES DECHEANCES DE QUELQUE NATURE QU'ELLES SOIENT RESULTANT DE CETTE CONDAMNATION ; QU'AINSI LE MOYEN NE SAURAIT ETRE ACCUEILLI ;» (Cass. Crim., 14 juin 1979, n° 78-94.086).
Le Conseil d’Etat a également annulé la radiation des cadres d’un fonctionnaire faisant suite à une condamnation au titre de l’interdiction de ses droits civiques dès lors que cette condamnation n’avait pas été inscrite au bulletin judiciaire n°2 du casier judiciaire :
« Considérant qu'aux termes de l'article 775-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de l'article 51 de la loi du 11 juillet 1975, "l'exclusion de la mention d'une condamnation au bulletin n° 2 emporte relèvement de toutes les interdictions, déchéances ou incapacités de quelque nature qu'elles soient résultant de cette condamnation" ; que l'application de ces dispositions, dans le cas d'une condamnation, emporte relèvement de l'incapacité prévue par l'article 65 de la loi susvisée des 15-27 mars 1850 sur l'enseignement en vertu duquel "est incapable de tenir un établissement public ou libre d'instruction secondaire, ou d'y être employé, quiconque est atteint de l'une des incapacités déterminées par l'article 26 de la loi .." lequel renvoie aux interdictions des droits civiques, civils et de famille prévus en cas de condamnation à l'article 42 du code pénal ; qu'elle a également pour portée d'emporter relèvement de l'incapacité prévue par l'article 50 de l'ordonnance du 4 février 1959 ; qu'ainsi le ministre de l'éducation nationale en radiant M. X... du corps des professeurs d'enseignement technique théorique en raison de la condamnation prononcée par l'arrêt du 12 novembre 1981 de la Cour d'Appel de Saint-Denis de la Réunion alors que ledit arrêt ordonnait que la condamnation ne fût pas inscrite au bulletin n° 2 de son casier judiciaire, a retenu à l'appui de sa décision un motif erroné en droit ; que s'il allègue que les faits à raison desquels est intervenue la condamnation susrappelée de M. X... étaient de nature à fonder une mesure disciplinaire de radiation, il ne résulte pas des pièces du dossier qu'ait été suivie la procédure prévue par l'article 31 du décret susvisé du 23 mai 1975 relatif au statut particulier des professeurs et des professeurs techniques chefs de travaux des collèges d'enseignement technique ; » (CE, 10 décembre 1986, req. n°50059).
La doctrine rappelle également la faculté pour le juge de relever toutes les déchéances, interdictions ou incapacités en dispensant la peine d’inscription au bulletin numéro 2 du casier judiciaire.
Ce relèvement vaut tant pour les peines prononcées à titre principal que complémentaires (Encyclopédie des collectivités locales / Chapitre 3 - Conseil municipal : exercice des fonctions de conseiller municipal Coll. loc. – Francis-Paul BÉNOIT ; Jean BÉNOIT – Août 2012) :
« Le juge répressif, après avoir condamné à une peine principale (…) peut ainsi prononcer, en application de l'article 432-17, une peine complémentaire ne portant pas globalement sur l'interdiction des droits civiques, civils et de famille définie au 1o de cet article, mais seulement sur « l'interdiction des droits de vote et d'éligibilité pour une durée d'un an » (CA Versailles 1er décembre 2004, Alain Juppé et autres, req. no 2004-00824P, AJDA 2005. 435, note J.-Y. Vincent ).
454. Dans tous les cas où il prononce condamnation, le juge pénal peut atténuer la portée de cette condamnation de deux façons.
Soit en décidant que la condamnation ne sera pas inscrite au bulletin no 2 du casier judiciaire de la personne condamnée, ce qui vaut relèvement de toutes les interdictions, déchéances ou incapacités de quelques natures qu'elles soient résultant de cette condamnation (art. 775-1, alinéa 2, du Code de procédure pénale).
Soit, en application de l'article 132-21, alinéa 2, du Code pénal, en accordant à la personne condamnée le relèvement, en tout ou en partie, des interdictions, déchéances ou incapacités quelconques résultant d'une condamnation pénale ».
C’est d’ailleurs pour cette raison que le Conseil d’Etat s’attache à vérifier si l’arrêté portant radiation de l’agent public concerné a été édicté avant ou après la décision judiciaire portant relèvement de ses incapacités (CE, 22 avril 1992, req. n°99671) :
« Considérant que par l'effet de la condamnation susrappelée, M FRADY avait perdu la jouissance d'une partie de ses droits civiques et se trouvait ainsi au sens des dispositions de l'article 24 de la loi du 13 juillet 1983 déchu de ses droits civiques ; qu'il résulte des dispositions précitées des articles 5 et 24 de la loi du 13 juillet 1983 que le ministre de l'économie, des finances et du budget était tenu de prononcer, ainsi qu'il l'a fait, la radiation des cadres de l'intéressé ; que le relèvement de ses incapacités résultant, pour M FRADY, de l'arrêt du 6 février 1986 est sans influence sur la légalité de l'arrêté attaqué, en date du 9 décembre 1985 ; que M FRADY n'est dès lors pas fondé à soutenir que l'article 24 de la loi du 13 juillet 1983 a été méconnu ; »
Il résulte de ce qui précèdent qu’un militaire ou un gendarme condamné à une peine d’inéligibilité ou de perte de ses droits civiques non inscrite au bulletin n°2 de son casier judiciaire n’a pas à être radié d’office par perte de grade.
Toute éventuelle décision de radiation fondée sur ce motif peut faire l’objet d’un recours auprès de la commission des recours des militaires (CRM) puis, le cas échéant, du tribunal administratif territorialement compétent.
Le cabinet d’avocat militaire, Obsalis Avocat, assiste et représente les militaires et les gendarmes dans leurs recours contre les décisions de radiation prononcées du fait d’une perte de grade.
3.- Recours des militaires et des gendarmes contre les décisions de radiation des cadres
Les requêtes contentieuses des militaires et des gendarmes contre les décisions prononçant la cessation de leur état de militaire doivent être précédées d’un recours préalable obligatoire (RAPO) auprès de la commission des recours des militaires (CRM) (article R. 4125-1 du code de la défense) :
« I. – Tout recours contentieux formé par un militaire à l’encontre d’actes relatifs à sa situation personnelle est précédé d’un recours administratif préalable, à peine d’irrecevabilité du recours contentieux.
Ce recours administratif préalable est examiné par la commission des recours des militaires, placée auprès du ministre de la défense » .
Ainsi, le militaire ou le gendarme concerné par une décision de radiation d’office par perte de grade doit saisir la commission des recours des militaires (CRM) dans un délai de 2 mois à compter de la notification de la décision litigieuse (article R. 4125-2 du code de la défense) :
« A compter de la notification ou de la publication de l'acte contesté, ou de l'intervention d'une décision implicite de rejet d'une demande, le militaire dispose d'un délai de deux mois pour saisir la commission par tout moyen conférant date certaine de réception de cette saisine au secrétariat permanent placé sous l'autorité du président de la commission. (…) »
Ce recours administratif préalable obligatoire proroge le délai de recours contentieux jusqu’à l’intervention de la décision du ministre des Armées (ou de l’Intérieur, pour les gendarmes) (article R.4125-1 alinéa 3 du code de la défense) :
« Le recours administratif formé auprès de la commission conserve le délai de recours contentieux jusqu’à l’intervention de la décision prévue à l’article R. 4125-10. Sous réserve des dispositions de l’article L. 213-6 du code de justice administrative, tout autre recours administratif, gracieux ou hiérarchique, formé antérieurement ou postérieurement au recours introduit devant la commission, demeure sans incidence sur le délai de recours contentieux ».
La commission des recours des militaires (CRM) dispose alors d’un délai de 4 mois pour notifier au militaire ou au gendarme en cause la décision du ministre prise sur son recours :
« Dans un délai de quatre mois à compter de sa saisine, la commission notifie à l'intéressé la décision du ministre compétent, ou le cas échéant, des ministres conjointement compétents. La décision prise sur son recours, qui est motivée en cas de rejet, se substitue à la décision initiale. Cette notification, effectuée par tout moyen conférant date certaine de réception, fait mention de la faculté d'exercer, dans le délai de recours contentieux, un recours contre cette décision devant la juridiction compétente à l'égard de l'acte initialement contesté devant la commission. » (article R. 4125-10 du code de la défense).
Faute de notification d’une telle décision à l’expiration du délai de 4 mois susvisé, le ministre compétent doit être regardé comme ayant implicitement rejeté le recours CRM introduit par le militaire concerné et, celui-ci disposera alors d’un nouveau délai de deux mois pour introduire une requête en annulation devant le tribunal administratif territorialement compétent :
- « (…) L'absence de décision notifiée à l'expiration du délai de quatre mois vaut décision de rejet du recours formé devant la commission » (article R. 4125-10 alinéa 2 du code de la défense)
- « La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée.(…) » (article R. 421-1 du code de justice administrative).
Le cabinet d’avocat en droit militaire, Obsalis Avocat, conseille les militaires et les gendarmes sur leurs droits, et les représente dans leurs recours contre les décisions de radiation des cadres prononcées à leur encontre du fait d’une perte de grade, tant devant la commission des recours des militaires (CRM) que devant le tribunal administratif.
Par Tiffen MARCEL, avocate en droit militaire, au barreau de Paris
Maître Tiffen MARCEL, avocate de militaires et de gendarmes, a fondé le cabinet Obsalis Avocat pour répondre aux problématiques rencontrées spécifiquement pas les militaires et les gendarmes de toute la France. Disposant d’une expertise reconnue dans la défense des militaires et des personnels de la gendarmerie nationale, Maître Tiffen MARCEL leur dédie son expérience dans tous les domaines du droit militaire : sanction disciplinaire, CLDM et imputabilité au service, indus de solde, jurisprudence Brugnot, procédure pénale, démission, résiliation de contrat, réclamations indemnitaires, etc.
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