Suicide des militaires en service : quels recours pour leurs ayants droit en cas de refus de pension ?

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Lorsqu’un militaire met fin à ses jours en service, son geste est présumé être imputable au service dès lors qu’aucune circonstance particulière est de nature à détacher son acte de ses fonctions.

 

Lorsqu’un militaire se suicide en dehors du service, son acte peut être reconnu imputable au service si les circonstances de l’espèce sont de nature à démontrer le lien entre son geste et ses fonctions.

 

Lorsque le suicide d’un militaire est reconnu imputable au service, ses ayants droits et, particulièrement son conjoint survivant a droit notamment au versement d’une pension.

 

Le cabinet d’avocat en droit militaire, Obsalis Avocat, accompagne les familles de militaires dans leurs démarches et les représente dans leurs recours contre les décisions de refus de pension :

 

 

1.- Imputabilité au service du suicide d’un militaire et droit à pension de son conjoint survivant

 

Aux termes de l’article L. 141-1 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre :

 

« Au décès du militaire, le conjoint survivant ou le partenaire d'un pacte civil de solidarité bénéficie d'un droit à pension dans les conditions prévues au présent titre ».

 

Aux termes de l’article L. 141-2 du même code : « Le droit à pension est ouvert au conjoint ou partenaire survivant mentionnés à l'article L. 141-1 : / (…) 2° Lorsque le décès du militaire a été causé par des blessures ou suites de blessures reçues au cours d'événements de guerre ou par des accidents ou suites d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service, et ce, quel que soit le pourcentage d'invalidité éventuellement reconnu à l'ouvrant droit ; (…) ».

 

D’autre part, aux termes de l’article L. 121-2 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre, dans sa rédaction issue de l’article 54 de la loi du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense :

 

« Est présumée imputable au service : / 1° Toute blessure constatée par suite d'un accident, quelle qu'en soit la cause, dans le temps et le lieu du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, en l'absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant l'accident du service ; (…) ».

 

S’agissant du lien entre le suicide d’un militaire et le service, la jurisprudence considère qu’il doit être présumé si le geste du militaire concerné a eu lieu dans le temps et sur le lieu du service (CE, 16/07/2014, n°361820, Publié au recueil Lebon) :

 

« 3. Considérant qu'un accident survenu sur le lieu et dans le temps du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par un fonctionnaire de ses fonctions ou d'une activité qui en constitue le prolongement normal présente, en l'absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant cet évènement du service, le caractère d'un accident de service ; qu'il en va ainsi lorsqu'un suicide ou une tentative de suicide intervient sur le lieu et dans le temps du service, en l'absence de circonstances particulières le détachant du service ; qu'il en va également ainsi, en dehors de ces hypothèses, si le suicide ou la tentative de suicide présente un lien direct avec le service ; qu'il appartient dans tous les cas au juge administratif, saisi d'une décision de l'autorité administrative compétente refusant de reconnaître l'imputabilité au service d'un tel événement, de se prononcer au vu des circonstances de l'espèce ; »

 

Dans une affaire remportée par le cabinet Obsalis Avocat pour le compte de la conjointe survivante d’un officier s’étant donné la mort en service, le tribunal administratif d’Amiens a confirmé cette jurisprudence en tout point (TA Amiens, 29 mars 2024, req. n° 2202460) :

 

« Un accident survenu sur le lieu et dans le temps du service, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice par un militaire de ses fonctions ou d’une activité qui en constitue le prolongement normal présente, en l’absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant cet évènement du service, le caractère d’un accident de service au sens des dispositions des articles L. 121-2 et L. 141-2 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre. Il en va ainsi lorsqu’un suicide intervient sur le lieu et dans le temps du service, en l’absence de circonstances particulières le détachant du service. Il en va également ainsi, en dehors de ces hypothèses, si le suicide présente un lien direct avec le service. Il appartient dans tous les cas au juge administratif, saisi d’une décision de l’autorité administrative compétente refusant d’accorder une pension de conjoint survivant prévue à l’article L. 141-1 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre au motif de l’absence d’imputabilité au service d’un tel événement, de se prononcer au vu des circonstances de l’espèce et de l'ensemble des pièces du dossier, pour, notamment, apprécier si des circonstances particulières permettaient de regarder cet évènement comme détachable du service ».

 

Dans les circonstances de l’espèce, le tribunal administratif d’Amiens a jugé que la circonstance que le militaire concerné ait subi des angoisses et ait pu commettre une tentative de suicide de durant son adolescence n’était pas de nature à détacher son suicide du service, alors que son geste avait été précédé de messages faisant expressément le lien entre son geste et ses fonctions, et avait été commis dans une chambre de permanence mise à son service dans le cadre de ses fonctions :

 

« 5. Il résulte de l’instruction que le lieutenant G, (…) s’est donné la mort le XXXXX, dans la salle de bain attenante à la chambre mise à sa disposition au sein de XXXXX pendant qu’il assumait les fonctions d’officier de permanence commandement. Par ailleurs, les seules circonstances que l’intéressé ait été affecté de problèmes de santé psychologique l’ayant conduit à faire une tentative de suicide à l’adolescence et qu’il ait été sujet à des angoisses ne sont pas de nature à détacher du service l’accident que constitue son suicide, alors que les messages qu’il a laissés font le lien entre ses déceptions professionnelles et son geste.

 

6. Dans ces conditions, Mme G est fondée à soutenir que le décès de son époux a été causé par un accident éprouvé par le fait et à l'occasion du service et que la décision attaquée méconnaît les dispositions précitées du 2° de l’article L. 141-2 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre. Par suite, elle est fondée à demander l’annulation de cette dernière ».

 

Surtout, le tribunal administratif a enjoint à l’administration d’accorder rétroactivement à la requérante la pension à laquelle elle avait droit, à compter de la naissance de son droit, c’est-à-dire, à compter de sa demande initiale.

 

Le ministère des Armées a donc été implicitement condamné à verser une somme forfaitaire correspondant à la régularisation rétroactive de la pension de conjointe survivante à laquelle la requérante avait droit, outre le versement mensuel future de ladite pension.

 

 

2.- Recours des familles de militaires contre les refus de pension

 

Aux termes de l’article R. 711-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, tout recours contentieux formé contre une décision de refus de pension doit être précédé d’un recours administratif préalable obligatoire (RAPO) auprès de la commission des recours de l’invalidité (CRI) :

 

« Tout recours contentieux formé à l'encontre des décisions individuelles prises en application des dispositions du livre Ier et des titres Ier à III du livre II du présent code est précédé, à peine d'irrecevabilité, d'un recours administratif préalable obligatoire examiné par la commission de recours de l'invalidité, placée conjointement auprès du ministre de la défense et du ministre chargé du budget. Le secrétariat de la commission est assuré par le secrétariat permanent de la commission des recours des militaires prévu à l'article R. 4125-6 du code de la défense.

 

Le recours administratif formé auprès de la commission conserve le délai de recours contentieux jusqu'à la notification de la décision prévue à l'article R.711-15. Sous réserve des dispositions de l'article L. 213-6 du code de justice administrative, tout autre recours administratif, gracieux ou hiérarchique, formé antérieurement ou postérieurement au recours introduit devant la commission, demeure sans incidence sur le délai de recours contentieux. (…) ».

 

Ce recours administratif préalable obligatoire (RAPO) doit, en principe, être formé dans un délai de six mois à compter de la date de notification de la décision de refus de pension concernée et être accompagné de la décision litigieuse (article R. 711-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre) :

 

« A compter de la notification de la décision contestée, le requérant dispose d'un délai de six mois pour saisir la commission par tout moyen permettant d'en établir la date de réception. (…)


La saisine est accompagnée d'une copie de la décision contestée et mentionne les griefs formulés contre cette décision. Dans le cas d'une décision implicite de rejet, la saisine est accompagnée d'une copie de la demande adressée à l'administration ».

 

Tout requérant qui en formule la demande peut être auditionné par la commission des recours de l’invalidité. Dans ce cas, il doit être convoqué au moins un mois avant la séance de la commission (article R. 711-10 du même code) :

 

« Dès réception du recours, le président de la commission en informe l'autorité dont émane la décision contestée. Le président de la commission transmet à l'autorité compétente les recours ne relevant pas de la compétence de la commission et en informe l'intéressé. Le président informe également le demandeur, par tout moyen conférant date certaine de réception, qu'il peut être auditionné par la commission s'il en formule la demande dans un délai d'un mois à compter de la date à laquelle il a reçu cette information. S'il ne manifeste pas son souhait d'être auditionné dans ce délai, la commission rend sa décision sur le fondement des éléments du dossier. Si le demandeur souhaite être auditionné, une convocation lui est adressée au moins un mois avant la séance, par tout moyen conférant date certaine de réception. Lorsque le demandeur, qui a fait part de son souhait d'être auditionné par la commission, justifie d'un motif légitime l'empêchant d'être présent lors de l'audition, le président ajourne l'examen du recours et reporte l'audition à une date ultérieure (…) ».

 

Le demandeur doit être mis à même de présenter ses observations écrites concernant son recours contre le refus de pension et, s’il demande à être auditionné, peut se faire assister par toute personne de son choix et, notamment, par un avocat en droit militaire (article R. 711-12 du code des pensions civiles et militaires et des victimes de guerre) :

 

« La commission ne peut statuer qu'après que le demandeur a été mis à même de présenter des observations écrites sur les éléments recueillis auprès de l'autorité mentionnée à l'article R. 711-10, dans un délai de quinze jours à compter de leur réception par lui. Si l'intéressé demande à être auditionné, il peut se faire assister de la personne de son choix (…) ».

 

Les frais de transports du requérant qui demande à être auditionné par la commission des recours de l’invalidité (CRI) sont pris en charges par l’administration (article R. 711-13 du même code):

 

« Les frais de transport du demandeur qui a fait l'objet d'une audition devant la commission sont pris en charge sur la base du trajet et du mode de transport les moins onéreux compatibles avec son état de santé ».

 

La commission des recours de l’invalidité (CRI) notifie au demandeur sa décision dans un délai de quatre mois à compter de l’enregistrement de son recours. A défaut, la commission des recours de l’invalidité (CRI) est réputée avoir rejeté le recours (article R. 711-15 du code des pensions militaires) :

 

« Dans un délai de quatre mois à compter de sa saisine, la commission notifie à l'intéressé sa décision prise sur le recours, qui se substitue à la décision contestée. Cette notification est effectuée par tout moyen lui conférant date certaine de réception. L'absence de décision notifiée à l'expiration du délai de quatre mois vaut décision de rejet du recours formé devant la commission. Le délai de quatre mois est suspendu à compter du jour où le président a informé le demandeur, par tout moyen conférant date certaine de réception, qu'une expertise médicale est diligentée. Le délai recommence à courir à compter de la transmission au demandeur des conclusions de l'expertise médicale, par tout moyen conférant date certaine de réception ou, au plus tard, quatre mois à compter de la date à laquelle le demandeur a été informé de la réalisation de l'expertise médicale. »

 

Le militaire ou ses ayants droits disposent alors d’un nouveau délai de deux mois pour saisir le tribunal administratif compétent d’une requête contentieuse contre la décision de rejet de son recours par la commission des recours de l’invalidité (CRI) (article R. 421-1 du code de justice administrative) :

 

« La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. (…) »

 

Le cabinet d’avocat en droit des militaires, Obsalis Avocat, accompagne les familles de militaires dans leurs recours auprès de la commission des recours de l’invalidité (CRI) et les représente dans leurs recours contentieux auprès des juridictions administratives.

 

 

Par Tiffen MARCEL, avocate en droit militaire, au barreau de Paris
 

Maître Tiffen MARCEL, avocate de militaires et de gendarmes, a fondé le cabinet Obsalis Avocat pour répondre aux problématiques rencontrées spécifiquement pas les militaires et les gendarmes de toute la France. Disposant d’une expertise reconnue dans la défense des militaires et des personnels de la gendarmerie nationale, Maître Tiffen MARCEL leur dédie son expérience dans tous les domaines du droit militaire : sanction disciplinaire, CLDM et imputabilité au service, indus de solde, jurisprudence Brugnot, procédure pénale, démission, résiliation de contrat, réclamations indemnitaires, etc.

 

 

Pour en savoir plus sur les accidents de service des militaires et l'indemnisation de leurs familles, consultez les articles du cabinet Obsalis Avocat sur le même thème :

 

 

 

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